29 juillet 2010

Poutine plus fort que Brejnev

Dans les années quatre-vingt, nous avions eu l’idée un peu saugrenue de sillonner par deux fois ce qu’on appelait alors l’URSS avec notre petite voiture allemande et notre tente canadienne.

De Leningrad à Odessa en passant par Novgorod, Kharkov et Kiev, tout se passa finalement assez bien. Certes, mon Opel Kadett fut par quatre fois désossée aux frontières (la pauvre ne s’en remit jamais tout à fait : trois ans après je retrouvais encore dans l’habitacle des boulons d’origine incertaine). Certes, nous eûmes aussi, quelque part en Biélorussie, le désagrément de subir un interrogatoire de police sous le buste de Lénine (il s’agissait d’expliquer pourquoi on nous avait retrouvés à Pinsk plutôt qu’à… Minsk, notre destination officielle : en réalité, Dominique, mal habituée à l’alphabet cyrillique, avait confondu les deux lettres russes correspondant au M et au P).

Mais globalement, il faut reconnaître que l’expérience fut plutôt intéressante et humainement enrichissante : nous n’avions pas regretté d’avoir eu l’audace de passer de l’autre côté du miroir… de fer.

Depuis la chute du Mur, nous avons eu l’occasion de folâtrer avec notre voiture personnelle dans plus d’une ex-République soviétique : Lituanie, Lettonie, Estonie, Ukraine, Moldavie, la plupart du temps sans formalités excessives et le plus souvent sans visa.

C’est ainsi, qu’en toute innocence, nous avions prévu de retourner cette année en Russie, de Saint-Pétersbourg à Moscou. Nous pensions franchement obtenir sans difficulté les autorisations que l’URSS communiste nous avait accordées somme toute aisément. Ce fut une erreur.

En effet, quelle ne fut pas notre surprise quand un haut fonctionnaire russe lui-même nous déconseilla un voyage de ce type (en voiture personnelle) car nous risquions d’être victimes de racket de la part de la mafia… des administrations locales ! Un « officiel » qui dénonce de cette façon sa propre administration, ça vaut quand même son pesant de zakouskis !

Face à ce qui ressemblait fort à une fin de non-recevoir, nous nous sommes rabattus sur un visa court de trois jours pour visiter Kaliningrad (la mythique Koenisberg). Du coup, entre le site Internet, le consulat de Marseille et l’antenne de Nice, les autorités russes nous ont demandé une poignée de documents et une liasse de roubles. Comme l’une et l’autre étaient à géométrie variable, nous avons décidé, après une ultime visite à l’antenne niçoise, de jeter l’éponge. Le risque était grand de ne pas obtenir le fameux visa avant la date prévue pour notre départ.

Morale de l’histoire : ce n’est pas céder à l’Ostalgie de dire que l’URSS de Brejnev était beaucoup plus accueillante que la Russie de Poutine.

Lénine, reviens, ils sont devenus fous... Je plaisante, bien sûr !

27 juillet 2010

Sarko l’alchimiste

José Luis Zapatero a reçu aujourd’hui Alberto Contador pour le féliciter après sa victoire dans le Tour de France. Dégainant, comme d’habitude, plus vite que son ombre, Nicolas Sarkozy avait reçu et célébré, dès dimanche, cinq coureurs français vainqueurs d’étapes et le gagnant des grimpeurs lui aussi tricolore.

Mais, au-delà de l’apparent parallélisme entre les deux événements, on ne peut pas s’empêcher de relever chez notre Président (comme dirait Jules Edouard Moustique) une propension à l’alchimie par sa volonté à transformer le plomb en or.

Car, sur les marches de l’Elysée, ce sont bien des victoires de second rang que Nicolas a célébrées. Passons sur le titre de meilleur grimpeur qu’un règlement plutôt exotique refuse depuis des années aux vrais montagnards du peloton pour nous interroger sur cette inflation de victoires d’étapes (six, car Chavanel a gagné deux fois).

En fait, ces victoires ont été obtenues par des coureurs trentenaires plutôt estimables, mais grâce à un tour de passe-passe. Chacun des futurs vainqueurs d’étapes pouvait et même aurait dû se battre pour obtenir une place dans le top 10 voire le top 5 du Tour. A la place de ce combat aléatoire, ils ont préféré renoncer, dès la première étape de montagne, à figurer dans le classement général. Du coup, n’étant plus dangereux pour la vraie compétition, les cadors de la course les ont laissés partir avec des coureurs étrangers peu connus dans des échappées qui leur ont permis au final de gagner leur étape. Seule la deuxième victoire de Chavanel (la première avait été obtenue grâce à la neutralisation du peloton) correspond à un authentique exploit.

Du coup, le premier Français au classement général (le courageux John Gadret) figure… à la dix-neuvième place du classement général. Intrinsèquement, sa performance est supérieure à celle de certains vainqueurs d’étapes. Mais lui n’a pas été invité par notre alchimiste national…

24 juillet 2010

I am married !


Stimulé par l’excellent mémoire d’un étudiant de M2 (« Kubrick ou l’échec de la communication », Pascal Minot) qui m’avait demandé d’être membre de son jury, j’ai profité de la trève estivale pour revisiter l’œuvre de Stanley Kubrick.

Délaissant un peu lâchement le traumatisant Orange mécanique, j’ai revu successivement 2001 : l’odyssée de l’espace (1968, le film qui a bouleversé la science-fiction au cinéma), Barry Lindon (1975, un film historique à l’esthétique digne de Gainsborough sur le monde corrompu du XVIIIe siècle anglais), Shining (1980, un film d’épouvante d’anthologie dans un hôtel désert des montagnes du Colorado), Full metal jacket (1987, un film de guerre hallucinant où, du camp d’instruction de Caroline du Sud à l’offensive du Têt au Vietnam, on partage le sort d’une poignée de jeunes marines), Eyes wide shut (1999, le dernier film de Kubrick, étrange et fascinant, drame psychologique à dominante érotique, autour du couple Cruise-Kidman).

Là où un réalisateur – estimable au demeurant – comme Jean-Jacques Annaud visite, de La guerre du feu à L’amant, tous les genres cinématographiques en faisant des films, Stanley Kubrick s’approprie ces mêmes genres pour bâtir une œuvre.

C’est ainsi qu’on retrouve, de film en film, les mêmes thèmes : réflexion sur les rapports du corps et de la machine, symbolique du conte, interrogation sur la réalité de la mort, rôle de l’œil, des miroirs et des lunettes, tabous et voyeurisme…

C’est dire si pendant ces 699 minutes, j’ai pu à la fois revoir avec plaisir des films que je n’avais pas vus depuis longtemps tout en m’immergeant dans le monde inquiétant et inquiet de Kubrick.

Mais de ces 699 minutes, si je devais en conserver une seule, ce serait sûrement celle qui concerne Nicole Kidman au tout début de Eyes wide shut.

Alice s’ennuie dans une soirée mondaine où son mari l’a entraînée presque malgré elle. Délaissée par celui-ci, elle boit quelques coupes de champagne pour passer le temps et, un peu éméchée, accepte de danser avec un inconnu (quinqua, ténébreux et hongrois). Ils flirtent ouvertement et, de slow en slow, l’atmosphère devient de plus en plus torride. Loin de subir, Alice a plutôt l’initiative du jeu de la séduction.

Persuadé de sa bonne fortune, le partenaire lui propose de visiter une collection d’estampes japonaises (ou quelque chose d’approchant…) à l’étage. Après avoir hésité ou fait semblant d’hésiter, Alice interrompt la danse, lève le bras gauche et pianote dans le vide avec ses doigts tendus. D’un geste équivoque, elle met en évidence annulaire et alliance et dit d’un ton provocateur mais étrangement définitif : « I am married ».

Les quelques mots prononcés les yeux mi-clos ont une telle charge érotique que la formule claque à la figure du beau ténébreux qui – on le suppose – peut, le temps d’une fulgurance douloureuse, faire l’inventaire des possibles devenus à tout jamais impossibles.

Trois mots pour comprendre le génie d’un réalisateur, le talent d’une actrice et la supériorité définitive de la VO sur la VF.

21 juillet 2010

Evidemment



Une chanson populaire peut vous envahir et aller bien au-delà de la signification que l’auteur lui a donnée. C’est assez fréquemment que, presque sans le vouloir, je me laisse entraîner par un texte vers des rivages secrets restés inconnus à l’auteur-compositeur.

Ainsi, Evidemment, la chanson créée par France Gall en 1987 est au premier degré, pour Michel Berger l' auteur, un hommage rendu à son ami, le chanteur Daniel Balavoine, mort dans un accident quelques mois auparavant.

Pour moi, Evidemment est bien plus : un constat mélancolique et même déchirant sur l’innocence et les rêves de jeunesse, l’engagement et l’espoir, les désillusions et le temps qui passe…

Et pour vous ?

Evidemment

Y a comme un goût amer en nous
Comme un goût de poussière dans tout
Et la colère qui nous suit partout

Y a des silences qui disent beaucoup
Plus que tous les mots qu'on avoue
Et toutes ces questions qui ne tiennent pas debout

Evidemment
Evidemment
On danse encore
Sur les accords
Qu'on aimait tant

Evidemment
Evidemment
On rit encore
Pour les bêtises
Comme des enfants
Mais pas comme avant

Et ces batailles dont on se fout
C'est comme une fatigue, un dégoût
A quoi ça sert de courir partout
On garde cette blessure en nous
Comme une éclaboussure de boue
Qui n'change rien, qui change tout

Evidemment
Evidemment
On rit encore
Pour les bêtises
Comme des enfants
Mais pas comme avant
Pas comme avant

18 juillet 2010

Les villes de grande multitude

Rockefeller center, 1978

J’ai toujours aimé les villes. Un séjour ou deux, quelques rencontres, une fulgurance architecturale, un petit bar, une réminiscence littéraire, musicale ou cinématographique, une aube fraîche, un petit rendez-vous avec l’histoire, et me voilà embarqué dans une presque liaison avec la cité.

Malgré quelques voyages, il y a encore de par le monde de nombreuses villes que je ne connais pas. Mais quelques décennies de vagabondage m’ont permis d’accoucher d’assez de souvenirs pour établir un top 10 crédible des villes que je préfère.

Pour comparer ce qui est comparable, j’ai écarté les villes françaises pour des raisons de trop grande proximité (mais j’ai toujours considéré Paris comme la plus belle ville du monde et Nice comme le prolongement de moi-même), les villes-musées trop belles pour être honnêtes (Venise, Florence, Jérusalem, Amsterdam, Dubrovnik, New Orleans… autant de joyaux à la beauté suffocante !) et les villes trop mêlées à l’Histoire récente pour être appréciées sereinement (Sarajevo, Berlin, Bucarest…).

Malgré cet écrémage, la liste reste impressionnante et le choix difficile. Comme il fallait trancher, j’ai tranché et je m’excuse auprès de villes suivantes que j’aime pourtant avec tendresse, parfois avec passion : Boston, Budapest, Casablanca, Chicago, La Valette, Lisbonne, Ljubljana, Odessa, Prague, Salvador de Bahia, Seattle, Stockholm, Sofia, Singapour et Vancouver.

Cela dit, voilà mon top 10, par ordre croissant :

10. Saint Petersbourg, qui à l’époque n’était que Leningrad, pour ses nuits blanches, la Neva et l’Hermitage.

9. Rome, pour la fontaine de la Dolce vita, les mystères supposés du Vatican et une sieste d’été dans le grand parc du centre ville.

8. Montréal, pour une francophonie décomplexée, les bars à chanson et les écureuils du Mont Royal.

7. Barcelone, pour la Movida, la Sacrée Famille et la Ville des prodiges.

6. Istanbul, pour les couchers de soleil sur la Corne d’Or, la promesse d’Asie, le souvenir de Pierre Loti et une soirée turco-arménienne.

5. San Francisco, pour la traversée du Golden gate, Alcatraz et les otaries du port.

4. Rio de Janeiro, pour les promenades pieds dans l’eau le long de Copacabana et d’Ipanema, pour la musique partout et la magie noire des favellas.

3. Le Cap, pour la Montagne de la Table, ses caprices et ses mystères, une croisière dans la baie et bien sûr Mandela.

2. Sydney, pour John et Robyn, un soir à l’opéra et les brunchs de Bondy.

1. New York, évidemment New York, la ville où, à chaque fois, au premier jour du séjour je suis « Tintin en Amérique » et le lendemain chez moi. Woody devient mon copain, Strawberry Fields mon jardin et ground zero mon chagrin.

Et vous, si malgré la température ambiante vous vouliez bien mouiller la chemise pour me dire votre top 10 ?

16 juillet 2010

Les pages que j’aurais aimé écrire (2)


En cette période de Tour de France, comment ne pas évoquer Antoine Blondin, chroniqueur iconoclaste et tendre d’une trentaine de Grandes boucles. Je le fais avec son très joli roman, « L’humeur vagabonde ».

Ecrasé par une existence qui n’est pas une vie, Benoît se sent d’humeur vagabonde. Personnage singulier – à mi-chemin entre Rastignac et « L’étranger » - il abandonne femme et enfant pour tenter fortune à Paris. Rejeté par des cousins snobs, inquiété par la maréchaussée à la suite d’un ridicule quiproquo au Père Lachaise, il retourne bien vite au pays.

Hélas ! Le soir de son retour, sa mère le prend pour un amant de sa femme et tue l’épouse supposée infidèle. Benoît retourne à Paris. Devenu, contre son gré, un personnage sulfureux, il est accueilli à bras ouverts par les cousins qui lui ouvrent les salons parisiens où il devient un objet de curiosité. Mais, avec la fin du procès de sa mère, le soufflé va retomber et Benoît reprendre son anonymat. Dans les toutes dernières pages du roman, on le retrouve figurant de cinéma. Avec ses collègues, il reste bloqué, des heures durant, dans un décor ferroviaire attendant le bon vouloir du réalisateur. En fait, il s’agit d’une brillante et émouvante métaphore où tout est dit : l’humeur vagabonde et son contraire. A moins que ce ne soit l’inverse.

(…)
Non, Dolorès m’a dit : « J’ai rêvé qu’on me donnait un bout de rôle. » Puis, elle a repris sa posture, comme nous tous, la posture qui nous est assignée dans ce scénario, dont nous ne connaissons jamais que le fragment qui nous concerne, et encore !
Les bouts de rôle, ça n’a qu’un temps ; je suis payé pour le savoir. On s’en remet mal ; on ne sait plus si l’on est d’ici ou d’ailleurs. Des charmes contradictoires continuent de vous suivre, qui vous divisent et finalement vous paralysent : on n’est plus de nulle part, et meurtri.
Il faut bien en revenir à la figuration qui est un art de l’esquive. « Pas pris, pas vu », c’est notre maxime quotidienne. La caméra rejette celui qu’elle a repéré. Tant que nous ne tombons pas sous son œil nous pouvons revenir le lendemain accomplir notre simulacre. Chacun de nos jours est impliqué par notre néant de la veille.
Artistes bien sûr, comme tout le monde, mais artistes de complément, on n’exige rien de nous que cette minceur pelliculaire entre la présence et l’absence ; nous sommes là pour faire nombre. Tout ce qu’on nous demande c’est de ne pas bouger. Et pourtant, tels que nous voilà dans ce wagon immobile, nous sommes ceux qui ont eu l’humeur vagabonde.

C’est la nuit maintenant, manteau des déracinés. Sous la veilleuse qui veille quoi, la religieuse se prend à égrener son chapelet, le monsieur décoré se déchausse en douce, le pêcheur remaille son filet, le vieux jockey se sent le derrière entre deux selles, les archiducs s’endorment au garde-à-vous, Dolorès achève des lainages pour ses enfants qu’elle n’achève pas… et moi, j’attends que les communications soient rétablies entre les êtres.
Un jour, peut-être, nous abattrons les cloisons de notre prison ; nous parlerons à des gens qui nous répondront ; le malentendu se dissipera entre les vivants ; les morts n’auront plus de secrets pour nous.
Un jour, nous prendrons des trains qui partent.

13 juillet 2010

Les conseillers généraux bossent en juillet



Non seulement le CG continue à avoir une activité normale en juillet mais, cerise sur le gâteau, la Commission permanente de ce mois est souvent l’une des plus importantes de l’année dans la mesure où il y a une volonté à la fois politique et pratique de solder le plus de dossiers possible avant l’appel du grand large.

Cette année encore, ce furent des débats récurrents, comme ceux sur la sécurité, souvent un peu artificiellement initiés par le Président. Cette fois encore à propos de la création d’un « établissement de réinsertion scolaire » contre lequel nous avons voté (trop de moyens mobilisés pour un résultat plus qu’aléatoire et un nombre très réduit d’enfants). Il s’agissait en fait de cliver entre une majorité prétendument à l’écoute des citoyens et une opposition forcément naïve et laxiste qui n’a rien compris à la question. Ce sera l’occasion de rappeler que, pour nous aussi, la sécurité est une liberté fondamentale qui n’est pas forcément servie par des projets coûteux et parcellaires qui n’ont d’autre but que de capter l’attention des médias pour des raisons idéologiques.

Autre débat récurrent : celui des transferts financiers de l’Etat aux collectivités territoriales. Sur plusieurs dossiers, nous avons encore pu vérifier que l’Etat se décharge de plus en plus de ses responsabilités parfois même dans des domaines régaliens comme (encore !) la sécurité ou l’éducation. A nos protestations, il est souvent répondu que peu importe le payeur public si le besoin est satisfait. Nous refusons une fois de plus cette explication simpliste qui occulte le fait que la fiscalité locale mise à contribution dans ces cas est infiniment moins juste que la fiscalité nationale. Le transfert a donc un coût social.

La séance fut aussi l’occasion de m’interroger publiquement sur la pertinence réelle de certaines pistes cyclables toujours désertes comme celle sur laquelle nous étions appelés à nous prononcer pour poursuivre son équipement, le long du Var en direction de l’aéroport. J’ai d’ailleurs proposé, avec l’approbation publique d’un maire d’une grande commune, un audit général sur ce genre de réalisations afin de trancher entre deux explications possibles : soit le besoin n’existe pas, soit la réalisation est si imparfaite qu’elles restent inutilisées…

Le CICA, que j’appelle le sparadrap du Capitaine Haddock du Conseil général, était à nouveau à l’ordre du jour. En actant notre vote négatif, le Président a juré - croix de bois, croix de fer, si je… - que la question serait définitivement réglée à l’automne. Wait and see.

Un débat sur le rôle respectif des pompiers et de Force 06, des subventions pour de nombreuses manifestations, l'aide aux communes, le financement des collèges et une centaine de délibérations complétaient une CP paradoxalement plus riche que la dernière plénière.

Une journée qui s'achève, comme souvent, avec un regard nostalgique dans mon bureau sur les panneaux fixés au mur qui illustrent le magnifique projet culturel que nous avions prévu pour la gare du Sud.

11 juillet 2010

Le Niçois parisien et le Parisien niçois

 55, rue Caulaincourt

Des gradins du stade aux salons bourgeois, il est souvent de bon ton d’entretenir une prétendue hostilité entre Nice et Paris, les Niçois et les Parisiens. En réalité nombreux sont les femmes et les hommes qui, à l’instar de Joséphine Baker, ont deux amours : la métropole azuréenne et la capitale. En ce début d’été, profitant d’un entraînement matinal et parisien, j’ai pu joindre symboliquement deux lieux chers à des personnalités très différentes, trop tôt disparues, et dont la vie a précisément illustré ce double élan du cœur.

Ainsi, il n’est pas encore tout à fait six heures du matin quand je me retrouve devant le petit immeuble de briques du 55 rue Caulaincourt dans le 18e arrondissement. Sur la façade,une plaque atteste que Louis Nucera, le plus niçois des écrivains, a vécu vingt-cinq ans à cette adresse à deux pas du Sacré Cœur et à quelques encablures de la place de Clichy. L’auteur des « Diables bleus » - très apprécié dit on dans le quartier - a écrit ses romans niçois dans son nid d’aigle montmartrois. Et dans la tiédeur de ce petit matin, je l’imagine écrivant au dernier étage de cette modeste maison si loin, si près de la Baie des Anges.

Une heure et une dizaine de kilomètres plus loin, un soleil de plomb fige l’activité du coin du 17e arrondissement où j’ai trouvé après quelques détours la modeste place Henri Fiszbin, longtemps leader du PC à Paris et… député niçois dans les années 80. Coincée entre deux tours HLM, elle n’est en fait qu’une sorte d’amphithéâtre en béton probablement imaginée par un architecte du grand parti des travailleurs (la place du Colonel Fabien est à deux pas) dans les années soixante. Aujourd’hui, le lieu semble abandonné et ma première réaction est de m’indigner devant ce manque de respect des autorités pour celui avec lequel j’ai milité quelques années.

Mais, à la réflexion, je peux l’imaginer heureux de se retrouver, pour l’éternité, au milieu de ces populations qu’il a défendues et aimées, tout en gardant le souvenir ébloui et tendrement ironique des quelques années passées à Nice, cette ville où l’air est si transparent et la population si singulière.

Louis Nucéra, Henri Fiszbin, deux hommes aux personnalités, aux parcours et, probablement, aux rêves si différents, et qui pourtant avaient un point commun : leur attachement à la ville-patrie ne les empêchait pas d’en aimer une autre, fraternelle et lointaine.
 Place Henri Fiszbin

10 juillet 2010

Dernière station avant l’autoroute

Le dernier apéro de la saison a toujours un parfum particulier. En général, la canicule nous oblige à squatter le trottoir qui jouxte la permanence avec la compréhension souriante des passants et la conversation y est souvent aussi légère qu’un soir d’été.
« Piliers » de la permanence, anciens colistiers et nouveaux venus ne s’attardent pas sur les sujets lourdement politiques (même si Henri et Jacqueline font de la résistance…) et évoquent leur futur parcours estival – parfois fort modeste – avec ce sourire mêlé d’excitation que l’on a en achetant bonbons à la menthe et cartes routières après avoir fait le plein à la dernière station avant l’autoroute. Cette année encore ce fut le cas. Avec peut être, au coin des lèvres, un petit frémissement de détermination anticipée pour le beau et insolite défi qui attend Gauche Autrement à la rentrée.

07 juillet 2010

Lieux intimes (3) : L'île des Cygnes


Artificielle et même pas bicentenaire, on la nomme souvent allée, je la préfère île.

Entre le pont de Bir-Hakeim et celui de Grenelle, il existe en effet, à fleur de Seine, une île singulière. Certes, elle n’a pas le prestige de l’île de la Cité. Modeste, elle se contente d’être chère au cœur des poètes et des amoureux. S’étendant sur près d’un kilomètre, sa largeur est réduite à quelques pas. L’île des Cygnes est en fait une longue promenade rectiligne posée sur l’eau et bordée de grands arbres au feuillage épais qui rythme les saisons. De chaque côté du chemin, le fleuve s’écoule, imitant, selon son humeur, la somnolence boréale de la Neva ou l’impétuosité de l’Arno.

A l’extrémité de l’île, une surprise attend le promeneur sous la forme d’une réplique de la statue new-yorkaise de « La liberté guidant le monde ». Une liberté qui inspira en son temps Godard (Pierrot le fou) et Polanski (Frantic).

Au-delà de l’île des Cygnes, on aperçoit le pont Mirabeau et, sous le pont Mirabeau, coule la Seine et nos amours aussi. « Faut-il qu’il m’en souvienne »…

Me promener régulièrement sur l’île des Cygnes est un besoin, presque un appel. La beauté du fleuve me rappelle que, quelle que soit l’étroitesse du chemin, il faut toujours prendre le temps de regarder la berge ; la générosité de la statue m’oblige à sortir de la torpeur d’une promenade solitaire pour me projeter à la rencontre du monde. Et le souvenir d’Apollinaire fixe en moi la certitude qu’au-delà de l’horizon, il y a toujours un poète.

N’en doutez pas, promenez-vous aussi sur l’île des Cygnes et vous aurez les clés d’un de mes lieux intimes. Et bien plus encore.

04 juillet 2010

L’Alphabet va nous manquer



En ce jour de disparition du grand Laurent Terzieff, l’émotion était palpable dans la petite salle en gradins du Théâtre de l’Alphabet. C’est que Catherine et Henri Legendre avaient choisi ce 3 juillet pour mettre un terme à l’aventure théâtrale de vingt-cinq ans qui les a conduit à tenir un rôle si important dans le paysage culturel de la ville et dans le cœur de si nombreux Niçois, acteurs ou spectateurs de la petite Blackbox du boulevard Carabacel.

Pour cette ultime soirée, nous avons droit à un « medley » de scènes tirées de l’œuvre de Molière. L’occasion de se faire surprendre par l’extraordinaire efficacité de l’auteur (débarrassé des interminables scènes gnangnan entre amoureux transis) et d’apprécier le talent des comédiens qui avaient le redoutable honneur d’être les représentants de plusieurs générations d’acteurs imprégnés de la Legendre touch.

Il y avait bien sûr Bernard (et son Avare pathétique, presque tragique, et pourtant si drôle), Didier (Misanthrope-Tartuffe tête à claques inspiré) et Huguette (en Frosine roublarde à souhait), mais aussi, avec Elodie, Mikaël et Sylvain, une partie de la distribution de ma dernière pièce.

Il est vrai que j’avais des raisons d’être nostalgique ce soir. En 2005, 2006 et 2007, pour deux pièces (Fragments de Nice et Sur un air de cithare) et une quinzaine de représentations, Henri Legendre a fait confiance à l’auteur artistiquement aléatoire et politiquement encombrant que j’étais.

J’ai gardé de ces soirées magiques un souvenir ému qui s’est avivé jusqu’à la tristesse lors de l’ultime accolade avec l’ami Henri.

Pour rendre hommage à ces souvenirs heureux, voilà trois billets écrits en ces temps-là, dans l’euphorie des lendemains de représentation.

11 juin 2006 « Merci Bernard »
25 avril 2007 « Cithare à L’Alphabet »
29 avril 2007 « Merci Bernard, Henri, Elodie, Mikaël, Sylvain, Lucile et Didier »

Oui, L’Alphabet va bien nous manquer.

01 juillet 2010

La France n’est pas une République bananière

L’affaire Woerth devient un Himalaya de mauvaise foi. Il y aurait chasse à l’homme vis-à-vis d’un responsable qui passe pour être un bon ministre mais qui a eu la courage d’incarner la réforme gouvernementale des retraites.

Mais il y a quand même un moment où il faut cesser de prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages… Il y a d’abord la situation professionnelle pour le moins baroque de Madame Woerth. Bien sûr, il ne faut pas remettre en cause l’indépendance professionnelle des époux, mais on peut quand même relever, sans être un Torquemada en puissance, que madame travaillait dans une société chargée d’optimiser les placements de Liliane Bettencourt. Ce qui est une façon très politiquement correcte de dire qu’elle organisait l’évasion fiscale. En clair, le Ministre Woerth lutte officiellement contre des pratiques qui constituent l’activité professionnelle principale de son épouse. Etonnant, non ? aurait dit Pierre Desproges.

Et puis, surtout, on nous sert la fable du ministre qui n’intervient jamais dans les contrôles fiscaux. En fait pour les contribuables d’importance (et Madame Bettencourt représente une des plus grandes fortunes de France), l’autorisation de vérification est accordée après avis d’un bureau de la direction générale des impôts qui travaille en étroite relation avec une cellule du cabinet du ministre. Si le ministre veut bloquer un contrôle fiscal, il suffit donc qu’il ne l’autorise pas…

Là aussi, pas besoin d’être un ancien rédacteur de « Je suis partout » pour en conclure que le dossier est suffisamment lourd pour que le ministre s’efface. Ce n’est pas le cas et le Président lui apporte un soutien appuyé… Exception française quand tu nous tiens…

Cessons de dire que la France est une République bananière. Même dans une République bananière le ministre aurait déjà démissionné.