18 octobre 2009

La promesse de Kars

Kars, Turquie

Nous sommes en juin 2003. Arrivés il y a quelques heures à Kars, petite ville frontière de cette Anatolie orientale qui, piédestal majestueux de l’Ararat, fut si longtemps Arménie Occidentale… Le ciel est encore plus bleu qu’à Istambul, quitté la veille, et l’air doux que nous respirons au pied de la citadelle confirme que l’été a fini par s’installer dans cette cité réputée pour être la plus froide de Turquie (5°C de moyenne annuelle).

Après avoir visité, un peu gênée, ce symbole des convulsions historiques qui ont affecté la région qu’est la cathédrale arménienne Saint Arak’elos transformée en mosquée (1998), notre délégation est reçue à l’Hôtel de Ville par le maire Naif Alibeyoglu. Une délégation d’ailleurs assez improbable qui a été pensée et patiemment construite par Sanson, Kirkor et Gaspard, les infatigables animateurs de la diaspora arménienne niçoise. Elle regroupe quelques jeunes responsables politiques de la toute nouvelle République d’Arménie, des universitaires et des acteurs économiques turcs, un de mes anciens étudiants devenu responsable du Caucase pour l’Union Européenne, plus quelques témoins niçois comme Pierre et Dikran qui deviendront des amis. Il y a aussi un certain Hrant Dink, journaliste de nationalité turque, directeur d’Agos, le seul journal de la petite communauté arménienne de Turquie rescapée du génocide.

D’emblée, sans langue de bois, le maire évoque le déclin de sa ville, le chômage et la désertification de la région depuis la fermeture de la frontière toute proche entre Turquie et Arménie à la suite de la guerre du Haut Karabagh, à l’initiative de son propre gouvernement. Lui qui est pourtant membre du parti au pouvoir à Ankara (islamiste « modéré ») est tout à fait favorable au dialogue avec les Arméniens de culture et d’histoire communes. Et d’affirmer que la réouverture de la route du Caucase Sud et du Caucase Nord était une nécessité non seulement pour sa ville mais pour l’Arménie et la Turquie.

A cet instant précis, nous qui étions là avec des idées de réconciliation sur fond de reconnaissance du génocide avons compris que la solution serait peut-être plus pragmatique. Les lignes – et les frontières – étaient prêtes à bouger pour des raisons économiques et géopolitiques.

Sans nous consulter, nous avions tous compris le message du maire de Kars. Un message en forme de promesse de paix. La réconciliation attendra plus tard.

Au fond de la salle, Hrant Dink semble approuver.

Aussi, quand le 10 octobre j’ai vu Ammet Davutoglu, ministre turc des Affaires étrangères, et son homologue arménien, Edouard Nalbandian, signer à Zurich, avec l’aide de la diplomatie américaine de Barack Obama, des accords qui, s’ils ne règlent pas tous les problèmes, normalisent spectaculairement les relations entre les deux pays, j’ai pensé à cette scène d’il y a six ans et à sa promesse de paix.

Hrant Dink, lui, n’aura pas pu assister à cet accord historique. En janvier 2007, il a été assassiné par des fanatiques de l’extrême droite turque. Pour lui, la promesse de Kars aura été trop longue à se concrétiser…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour cet article rappelant Hrant Dink et tout les espoirs qu'il avait dans une réconciliation trop longue à venir.
Pour nous descendants du Génocide, une reconnaissance (à minima) serait un grand pas vers une vérité irréfutable de l'Histoire des deux pays.
Hrant Dink était de ceux qui croyaient à un dialogue exempte de haine et de rancoeur, mais il a payé de sa vie.
Cela prouve combien l'évolution des mentalités est lente dans ce pays.
Cependant, les dernières évolutions laissent espérer un avenir moins tendu entre les deux pays, bien que les motivations non-dites se font déjà sentir au lendemain de la signature des protocoles.
Merci encore pour votre témoignage.