21 septembre 2006

Béatrix Kiddo a-t-elle une âme ?

C’est en équipe, avec une jeune collègue, que j’entame cet après-midi le marathon automnal des soutenances de mémoires en sciences de l’information et de la communication. Les deux livraisons du jour sont particulièrement intéressantes pour un prof cinéphile, amateur de surcroît de séries télévisées.

Vincent nous présente une analyse pertinente de South Park, la série la plus décapante du moment, sur l’Amérique profonde et ses contradictions. Un travail passionnant qui me donne instantanément d’aller acheter à la FNAC au plus vite les dix saisons disponibles de cette série d’animation.

Laurent, quant à lui, présente une réflexion plutôt nourrie sur « Quentin Tarentino, le cinéaste de la citation ». Je me souviens immédiatement de cette soirée de 1994 où, très mal assis au premier rang d’un palais des Festivals bondé, j’ai assisté médusé à la projection de Pulp fiction. Immédiatement subjugué par l’inventivité jubilatoire de ce jeune cinéaste presque inconnu, je ne fus pas surpris, quelques jours plus tard, quand, au même endroit, je le vis recevoir la Palme d’or.

Pulp fiction, mais aussi Reservoir dogs, Jackie Brown, et Kill Bill 1 et 2, rien n’est à jeter dans cette œuvre en devenir. Mais le travail de l’étudiant est surtout centré sur la cinéphilie de Tarentino, sa capacité à s’emparer d’autres univers, à citer d’autres films dans une œuvre pourtant très personnelle. C’est ainsi que l’auteur de Kill Bill s’est inspiré bien sûr du cinéma américain, des films de karaté, du western spaghetti, mais aussi de réalisateurs européens comme Godard ou Jean-Pierre Melville. Le mémoire fait notamment un comparatif étonnant entre certaines scènes de Pulp fiction et du Deuxième souffle.

Cela dit, si elle ne veut pas devenir un procédé, la citation a ses limites. Ma collègue reproche à Tarentino d’avoir franchi la limite, précisément dans Kill Bill, qu’elle qualifie de film vain. Pour ma part, je la trouve un peu sévère. L’extraordinaire imagination et le talent de cinéaste de Tarentino lui permettent une fois de plus de donner le change. Pour moi, Kill Bill n’est pas le film de trop, mais une sorte d’apothéose anthologique du cinéma de genre avec des morceaux de bravoure inoubliables (par exemple, l’incroyable scène du réveil des orteils de la mariée après son long coma).

Cela dit, une apothéose est aussi une fin, et le réalisateur américain va devoir, selon moi, changer de registre. Dans son introduction, l’étudiant rappelle que les mauvais cinéastes n’ont pas d’idées, que les bons en ont trop, mais que les grands en ont une qu’ils déclinent à l’infini. Cette grande idée, Tarentino, à l’évidence, ne l’a pas encore trouvée. Son univers de femmes fatales (merci Uma Thurman) et de voyous pittoresques est trop proche de la BD pour vraiment exister. Dans Kill Bill, Tarentino a permis à Béatrix Kiddo, alias la mariée, de se venger spectaculairement, brillamment, définitivement. Le réalisateur doit désormais nous prouver qu’elle a une âme. Et lui une grande idée.

4 commentaires:

philippe a dit…

vain ! le mot est laché. Et c'est précisément celui que j'utilise pour qualifier l'oeuvre de Tarantino. Tarantino c'est l'archétype du jeune passionné de cinéma un peu cultivé, un peu snob un peu culotté qui se pousse du col en jouant de ses relations. Mais toujours à la recherche de la grande idée,... et ça risque de durer. L'esthétique kitsch, le clin d'oeil démago, la violence jusqu'à la nausée comme thérapie (on sait depuis Kubrick que ça ne marche pas), tout ce catalogue d'effets, bric à brac entassé de figures rhétoriques vues et revues, une conduite d'acteurs en surjeu systématique. C'est la mauvaise copie du cancre qui veut se faire aimer. Je suis convaincu qu'aucune de ces oeuvres ne passera le siècle, sinon pour être visionnées dans les écoles de cinéma et servir d'exemples sur les créateurs décadents et sur la diversité de la création qui a fait se côtoyer un Ken Loach et un Tarantino quand des abîmes les séparent.

Anonyme a dit…

La réponse est peut-être dans la dernière phrase du narrateur de Kill-bill 2. Je cite de mémoire : "La lionne a retrouvé son petit, la jungle peut retrouver la paix". Enfin quelque chose comme ça.
Donc : les animaux ont-ils une âme ? seraient aussi une bonne question.
Bon j'arrête avec mes réflexions à 2 balles. Aujourd'hui Vendredi, c'est le jour de la résidence.
Bonne journée.

Anonyme a dit…

Philippe,
Ken Loach est un de mes metteurs en scène préférés. Chacun de ses films est pour moi un pur bonheur. Mais je peux prendre plaisir à regarder un Tarentino. Est-ce si impensable ?

philippe a dit…

dominique,
navré de t'avoir choquée ! ce n'était pas le but de l'exercice. Mais disons que depuis bien longtemps j'avais envie de pousser ce coup de gueule inutile. Le blog de Patrick m'en a fourni l'occasion.
De toute façon mon oeuvre non plus ne passera pas à la postérité.
Alors continue sans culpabiliser à prendre plaisir aux films de Tarantino. Je vais mieux d'avoir craché mon venin.