25 mai 2006

C’est nous les Africains…

Indigènes
CANNES (suite)

Mercredi

Après le traditionnel petit-déjeuner à l’ex Noailles avec Michel, un fidèle de la filière marseillaise de Nice centre – au programme, commentaire des films de la veille et des avatars des fédés PS des Bouches-du-Rhône et des Alpes-Maritimes – nous partons, dès huit heures du matin, à l’assaut des salles obscures. Au menu du jour :


Marie-Antoinette, de Sofia Coppola (USA)

Je me souviens, il y a quelques années, avoir assisté, assis à côté de Faye Dunaway (il y a des détails qu’on n’oublie jamais), à la première de «The virgins suicides». A l’époque, j’avais été impressionné par cette plongée quelque peu hallucinante dans le monde de l'adolescence de cette frêle jeune femme qui avait fait une courte apparition sur la scène du Noga Hilton après la projection. J’attendais donc avec impatience sa Marie-Antoinette, précédée, qui plus est, d’une flatteuse réputation.. On allait voir ce que l’on allait voir : une version glam rock du boulanger, de la boulangère et du petit mitron, un «Phantom of paradise» de la Galerie des glaces, peut-être même une sorte de «In bed with Marie-Antoinette». La déception n’en est que plus vive. Que voit-on à l’écran ? Une actrice un peu fade (Kirsten Dunst) jouant une Marie-Antoinette convenue : adolescente perdue, puis jeune femme mal-aimée, et enfin, quand s’engage la lutte finale, une reine digne. Rien ne vient déranger nos certitudes voire nos préjugés sur le personnage. Et ce ne sont pas les quelques rocks-menuets qui ponctuent musicalement certaines scènes, qui risquent de faire basculer le film dans la folie et la démesure. Enfin, quand le personnage de Marie-Antoinette avoue n’avoir jamais prononcé la célèbre phrase sur la pain et la brioche, je sens bien que Dominique, qui l’avait utilisée au cours de son débat avec Christian Estrosi (voir «Million dollars baby»), est un peu déçue… elle aussi !


La raison du plus faible, de Lucas Belvaux (Belgique)

Un petit groupe de paumés, véritables pieds nickelés de la désespérance, organise son suicide social. Sans travail, sans espoir, sans avenir, ils décident de faire un hold-up à l’ancienne (la dispersion des billets dans la dernière scène du film rappelle le classique «Mélodie en sous-sol» (voir «C’est du brutal») pour pouvoir sourire à nouveau. Ce hold-up improbable tourne évidemment à la tragédie, un des protagonistes perdra même la vie. Lucas Belvaux filme avec talent ce no future liégeois, à mi-chemin entre le cinéma social anglais et les frères Dardenne : moins engagé que le premier, plus que les seconds. C’est aussi un acteur remarquable : sa prestation d’ex-taulard plus ou moins repenti en fait un prétendant crédible pour le prix d’interprétation.

Le film ne laissant que peu de place à l’espoir, c’est un peu morose que je retrouve mes étudiants pour leur faire subir quelques épreuves orales… Qu’ils se rassurent, leurs notes n’ont pas subi les conséquences de ce coup de blues.


Jeudi

L’amico di famiglia (l’ami de la famille), de Paolo Sorrentino (Italie)

Le premier film présenté à Cannes en 2004 («Les conséquences de l’amour») de ce probable lointain cousin de mes amis Ange et Eugène, m’avait plutôt laissé une bonne impression. Un mafieux âgé tombait amoureux d’une très jeune femme et – si mes souvenirs sont bons – il mourrait pour elle. Dans L’ami de la famille, on retrouve le même schéma avec un vieil usurier, laid, sale, et radin, qui séduit une jeune mariée qu’il ne faut pas toutefois confondre avec une oie blanche. Cette nouvelle version de la Belle et de la Bête, en effet, tourne court, la Belle se révélant au moins aussi Bête que la Bête. La réalisation, un peu maniérée et très symbolique, rappelle le cinéma des années soixante-dix, un cinéma qui n’arrivait pas vraiment à émouvoir. Reste à saluer l’acteur Giacomo Rizzo, une tête à claques qui a quand même une sacrée gueule.


Indigènes, de Rachid Bouchareb (France)

En compagnie d’Esmeralda et d’Ibrahim, un jeune couple que j’ai marié l’an dernier, nous assistons à la projection de ce film, lui aussi très attendu.

A travers l’épopée d’un petit groupe de soldats marocains et algériens, le réalisateur évoque l’engagement de cent trente mille "indigènes" dans l’armée française pour libérer la mère patrie de l’envahisseur nazi. Exclus de la citoyenneté républicaine, ils répondent pourtant présents pour sauver la République. Le petit groupe traverse l’Afrique du Nord, l’Italie, la Provence, pour échouer, et être pratiquement exterminé, en Alsace. Même si la réalisation est plus qu’honorable, dix fois plus subtile que celle d’un Boisset, il y aura certainement des petits malins pour dire que Rachid Bouchareb n’est ni Oliver Stone, ni Stanley Kubrick… Et alors ? C’est le rôle du Festival que d’offrir de temps à autre un de ces films coups de gueule qui dénoncent, qui interpellent, et qui parfois – comme c’est le cas ici – nous convoquent au tribunal de l’Histoire. La dernière scène du film, où l’on voit le survivant de l’hécatombe alsacienne devenu chibani se mouvoir au milieu des tombes de ses compagnons de lutte avant de regagner, solitaire, sa modeste chambre d’immigré toléré, est à diffuser en prime time sur toutes les chaînes de télévision en ces temps de colonisation fraîche et joyeuse et d’immigration choisie.

Le générique s’achève. La salle applaudit chaleureusement. Dans son coin, Ibrahim est songeur. Peut-être pense-t-il à son grand-père… tirailleur sénégalais.

2 commentaires:

Aurélien Portelli a dit…

Bonjour Patrick,
Bravo pour vos critiques de films. j’ai particulièrement apprécié celle sur Marie Antoinette. Je pense que cette œuvre était vouée à la base à un échec certain. Premièrement, les écrivains et les cinéastes contemporains sont parvenus à rendre le personnage de la reine de France totalement inintéressant. Notamment en la cloisonnant dans un système de représentations insipides. Je ne pense pas que l’épouse d’un chef d’Etat est un sujet pertinent si l’on évoque seulement ses états d’âmes, ses parures, ses aventures sexuelles, etc. Malheureusement, comme je m’en doutais dès le départ, Sofia Coppola ne parvient pas à sortir sa protagoniste de cette série de clichés totalement convenus.
Secondement, après ses deux précédents succès, la réalisatrice a été considérée comme le nouveau prodige du cinéma américain. Cette réputation est totalement surfaite. On ne peut juger un cinéaste après deux films. Il faut attendre ses prochaines réalisations. Mais non, dès qu’un bon film sort, la presse et le public crient au nouveau génie. L’exemple le plus frappant reste Finsher (réalisateur entre autre de l’excellent Fight club et du catastrophique Panic Room), qui s’est essoufflé à la vitesse de l’éclair après avoir fait des débuts fracassants. Mais rien n’est encore perdu pour Sofia Coppola. On se souvient de David Lynch, qui après Eraserhead et Elephant Man, réalisa la plus catastrophique superproduction américaine : Dune. Lynch a heureusement montré ensuite ses talents, en revenant à un cinéma moins « surdimensionné ». Coppola devrait sans doute suivre cet exemple et ne plus se lancer dans des projets pharaoniques…

Anonyme a dit…

bonjour,
Merci Rachid Bouchareb et aussi à tous ceux qui ont tout fait pour que ce film existe, pour la reconnaissance de ces hommes qui ont combattu pour que la France ne tombe pas entre les mains du facisme. Il y a une autre population qui a oeuvré pour l'économie et le bien de notre pays, ce sont ces chibanis qu'on a fait venir pour travailler, ces "célibataires" (qui avaient femmes et enfants au pays) qu'on a parqués dans des foyers en dehors des villes, qui n'étaient qu'une force de travail, qui ont passé 30-40 ans de leur vie en France (ce que preconisent encore les nouvelles lois MR Sarkozy). Ces chibanis ont besoin de cette reconnaissance,les combattants et les travailleurs âgés ont donné toute leur vie à notre pays pour nous le léguer ; à nous 2éme et 3éme générations et à vous tous de faire en sorte que qu'il ne tombe pas dans l'extrêmisme, le facisme et l'obscurantisme et qu'il reste cette belle republique laique que je défend de toute mes forces, pour que mes enfants français et mes petits enfants et tous les autres puissent y vivre heureu. Zineb