28 avril 2006

La laitière et la lectrice

Après une triste matinée passée dans l’église Saint Roch avec le père Didier et une centaine de personnes à rendre hommage à Noël, un dirigeant sportif et militant associatif, aimé et respecté dans les quartiers est de la ville, je procède à mon 109e mariage.

Sophie et Patrick. Famille juive d’origine égyptienne pour la mariée, vieille famille niçoise pour le marié : la vitalité du melting-pot niçois ne se dément pas.

Deux serviteurs de la République : Sophie, qui a été mon étudiante dans une autre vie, est devenue professeur des écoles, Patrick est policier (instructeur de surcroît).

Habitant le 7e canton, ce sont eux qui ont souhaité que j’officialise une union déjà authentifiée par la naissance d’une petite Stella.

L’échange des consentements étant réalisé, la cérémonie des alliances également, je me lance dans le traditionnel discours républicain qui, selon moi, doit clore tout mariage civil, surtout quand, comme c’est le cas ici, il n’est pas doublé par une cérémonie religieuse.

Les mariés m’ayant fait part de leur projet de voyage de noces à Amsterdam, je leur propose, ainsi qu’à leurs nombreux invités, une promenade virtuelle au Rijksmuseum, plus précisément devant la cimaise où deux petits tableaux de Vermeer, représentant chacun un portrait de femme, sont exposés.

Le premier est mondialement connu grâce au sacrilège d’un publicitaire. Il s’intitule « La laitière » et l’on y voit une solide paysanne verser le contenu d’une jarre de lait dans le décor modeste d’une maison rurale de la Hollande du XVIIe siècle. Son visage est lisse et respire le bonheur tranquille d’un quotidien sans aspérités.

Le deuxième tableau représente une autre femme, apparemment enceinte de plusieurs mois, en train de lire une lettre dans le décor solennel d’un petit cabinet de travail. L’inquiétude trouble les traits du visage de la jeune femme. Au mur, une carte offre une ouverture symbolique sur le monde.













Séparément, ces deux tableaux racontent chacun une histoire. Ensemble, ils s’interrogent et offrent au spectateur un raccourci subtil et complexe de l’aventure humaine. Une aventure où la lectrice vulnérable, inquiète, mais si vivante, s’impose comme le double nécessaire de la laitière paisible, mais sans histoire.

Ces deux tableaux peuvent aussi représenter une assez belle allégorie de la vie en couple. En effet, si un couple a besoin des solides certitudes de la laitière pour survivre, il ne peut pas se passer de l’inquiétude créatrice et féconde de la lectrice pour vivre. Il doit à la fois s’installer dans la suavité de la vie quotidienne tout en s’ouvrant au monde quitte à se mettre en danger. Pour être tout à fait équilibré, un couple doit se risquer de temps en temps à l’équilibrisme. C’est qu’au-delà du réalisme du quotidien, il y a forcément l’utopie et le rêve…

Même si pour cela, il faut se brûler les ailes.

Un peu.

De temps en temps.

5 commentaires:

Unknown a dit…

On avait remarqué... et on apprécie !

Anonyme a dit…

merci pour l'interpretation de ces 2 tableaux que je n'ai pas lue de cette maniére, c'est comme si je les revoyais, je retiens la leçon sur le couple.zineb

Anonyme a dit…

A vous lire, la "laitière" que je suis a envie de se faire un peu plus "lectrice"... Merci pour cette belle interprétation.

Anonyme a dit…

Je ne suis qu’un lointain marseillais (lorrain même dans une autre vie) mais je découvre Nice avec délices. D’abord Nissa 2008 et ses analyses économiques (je ne trouve pas ça à Marseille), puis votre blog, un blog d’élu cultivé, des analyses qui me touchent par leur sensibilité et leur intelligence.

Anonyme a dit…

Je vois et apprécie que Vermeer vous inspire autrement que le film d'Audiard que vous maltraitiez avec moult préjugés.
Avez vous lu le roman de Tracy Chevalier?
Bon joli mois de mai, chance pour notre suite niçoise et Merci de m'avoir fait découvrir Cripure.